Je ne me rappelle pas avoir vu un soleil tel que celui-ci, une sphère rouge vermillon s’élevant au dessus de l’océan. J’ai assisté à des coucher de soleil magnifiques, mais avec un astre aussi rouge, jamais. Avant que le ciel ne s’embrase tout à fait, nous marchons main dans la main, décidés à atteindre le mini-phare que l’on voit au loin, près de l’embarcadère de Baan Nam Kem. C’est à 2 km par la plage. Les vagues scintillent comme si des milliers d’étoiles étaient tombées du ciel. C’est très beau. IMG_1905IMG_1909IMG_1916Baan Nam Kem (qui signifie en français « Village de l’eau salée ») est un village de pêcheurs très tranquille d’où partent des bateaux de pêche mais aussi des ferries pour l’île de Koh Kho Khao. IMG_1921IMG_1922Lorsque le tsunami a frappé la Thaïlande en 2004, le village de Baan Nam Kem a été particulièrement touché. Près de 600 villageois ont péri dans la catastrophe. Toutes les familles du village ont perdu des êtres chers. Aujourd’hui, la vie a repris son cours, paisible. En bordure de plage se dresse un énorme Bouddha assis qui semble veiller sur le village. Dos à l’océan, il donne l’impression de protéger les habitants des fureurs de l’océan ou la colère dévastatrice de la nature. Son visage paraît grave, il ne sourit pas.
DSCN7026A proximité du bouddha, nous remarquons un haut mur gris avec une forme concave. Haut de 4 mètres, il représente la vague, celle qui a emporté tout sur son chemin, comme ce bateau dont on peut voir la carcasse et qui s’est retrouvé à 2 kilomètres à l’intérieur des terres.   DSCN7030DSCN7031  DSCN7035IMG_1945En face du mur concave, nous lisons quelques noms sur les plaques commémoratives. Nous sommes très émus d’être au « Tsunami Memorial ». DSCN7028IMG_1946DSCN7029DSCN7032Lorsque nous faisons demi-tour pour rentrer, la nuit est pratiquement tombée.  Lorsque nous atteignons la route de campagne qui nous mène au Living Room Homestay, nous sommes dans le noir le plus complet. Enfin, pas tout à fait, des lucioles nous font un ballet merveilleux, comme si une dizaine de fées clochette jouaient à cache-cache autour de nous. La dernière fois que j’ai vu des vers luisants remonte à ma petite enfance… DSCN7039

Voici un reportage tiré du journal Libération du 22/12/2014 :

Dévasté par le tsunami il y a tout juste dix ans, Baan Nam Khem a vu affluer les ONG. Aujourd’hui, les pêcheurs locaux ont cédé la place aux travailleurs birmans et les maisons neuves cherchent preneur.

Quand le moine bouddhiste Manat est arrivé à Baan Nam Khem, le «village de l’eau salée», une semaine après le tsunami du 26 décembre 2004, il a trouvé une communauté dévastée. Ce village de la province de Phang Nga, sur la côte occidentale de la péninsule thaïlandaise, avait été particulièrement meurtri par les vagues de 6 à 7 mètres de haut déclenchées par un séisme de 9,2 sur l’échelle de Richter au large des côtes de l’île indonésienne d’Aceh. 800 personnes de Baan Nam Khem ont péri, emportées par les flots, sur une communauté de 5 000 habitants, essentiellement des pêcheurs.

«Les gens étaient hagards. Ils restaient assis des journées entières sans rien dire. Je devais leur porter mes sermons enregistrés sur des CD, car ils ne voulaient plus sortir de leur maison à moitié détruite», se rappelle, dix ans après, le bonze Manat, qui n’a jamais quitté Baan Nam Khem depuis. Alors qu’il tentait de réconforter les âmes, des centaines d’organisations humanitaires, d’agences internationales et gouvernementales, et aussi de simples quidams déferlaient dans ce village devenu le symbole de la tragédie en Thaïlande. «On voyait des étrangers arriver avec des liasses de billets et les distribuer au premier venu», se souvient un résident.

TEMPLE DU PARDON DE LA MER

Dans les mois qui ont suivi, le village n’était pas sans rappeler la frontière khméro-thaïlandaise des années 80, quand 350 000 rescapés du régime khmer rouge s’entassaient dans des camps de réfugiés. La route vers Baan Nam Khem était alors jalonnée de panneaux d’organisations humanitaires : World Vision, American Refugee Committee, Moses… Chacune voulait «son» projet dans ce qui était devenu le «village du tsunami». Mais, pour le bonze Manat, un moine au franc-parler typique des religieux travaillant sur le terrain et qui ponctue ses propos par de grands éclats de rire, cette vague d’assistance humanitaire manquait la cible. «Bien sûr, les villageois avaient perdu la plupart de leurs biens. Mais, pour eux, les pertes matérielles étaient secondaires. Ils étaient profondément déprimés. Ils se demandaient : « Pourquoi celui-ci a disparu ? Pourquoi est-ce tombé sur ma famille ? » J’ai essayé de répondre à ces questions en puisant dans les enseignements de Bouddha», se rappelle-t-il.

Le bonze installa alors un temple improvisé sous une tente, et prêcha tous les soirs pour les victimes du tsunami. Il l’appela Wat Apai Samut, le «temple du Pardon de la mer». Nong Chanthawong, aujourd’hui employée d’une organisation humanitaire locale, la fondation Prateep, était parmi les habitants de Baan Nam Khem qui assistaient aux sermons du bonze Manat. Elle a perdu ses deux enfants et son mari dans le tsunami. «C’est alors que j’ai vraiment compris les enseignements bouddhiques, notamment le fait que nous, êtres humains, naissons, souffrons et mourons, et qu’il faut l’accepter», se rappelle-t-elle, la voix étranglée.

«FAIRE QUELQUE CHOSE QUI DURE LONGTEMPS»

Quand on traverse aujourd’hui cette bourgade côtière, avec ses restaurants de rue et son port de pêche, on ne peut manquer d’être frappé par le nombre important de maisons relativement neuves mises en vente ou en location. Cette allure de village fantôme s’explique par les bouleversements sociaux et économiques qui ont suivi le tsunami, mais aussi par la focalisation des organisations humanitaires sur des projets de reconstruction tous azimuts. «Certains donateurs se sont dit : « On va construire des bâtiments, comme cela on pourra mettre le nom de notre organisation dessus. » Ils voulaient faire quelque chose qui dure longtemps. C’est pour cela qu’il y a beaucoup de maisons à vendre, beaucoup de très jolis bâtiments qui sont inoccupés», explique Maneerat Grueneberger, une Thaïlandaise originaire de la région qui a créé la fondation caritative Love Andaman peu après le tsunami.

A Thai man walks past ruins at Ban Nam Khem in Phang Nga province about 130 km (81 miles) north of the Thai resort island of Phuket.  A Thai man walks past ruins at Ban Nam Khem in Phang Nga province about 130 km (81 miles) north of the Thai resort island of Phuket, January 19, 2005. More than 5,000 people are listed as dead in Thailand from the tsunami and over 3,000 still missing. REUTERS/Chaiwat Subprasom - RTRKWY5

En janvier 2004, après le tsunami. (Photo Chaiwat Subprasom. Reuters).

Mais la désertion de Baan Nam Khem par ses habitants d’origine vient aussi de la peur d’un nouveau tsunami. «Si vous observez, vous verrez que beaucoup d’habitants regardent sans cesse la mer», indique le bonze Manat. Les chefs de famille, qui, très souvent, étaient pêcheurs, ont changé de métier et se sont installés ailleurs. Les femmes qui avaient perdu leur mari n’ont pas voulu rester. Les familles se sont dispersées. «La chaleur humaine qui liait autrefois notre communauté a disparu», regrette Nong Chanthawong.

Ce sont maintenant essentiellement des travailleurs migrants venus de Birmanie, pêcheurs ou employés dans des hôtels des environs, qui vivent dans les maisons le long de la côte, qu’ils louent aux habitants d’origine. Certains appellent désormais Baan Nam Khem le «village birman».

Peu s’en souviennent en Thaïlande, mais, jusqu’aux années 70, Baan Nam Khem vivait des mines de fer qui jalonnaient cette région appelée alors en thaï Muang Lek,le «pays du fer». Quand les mines ont été épuisées au début des années 80, Baan Nam Khem a connu une forte dépression économique. «C’était devenu un village miséreux, où le crime régnait et où les enfants n’allaient pas à l’école», se souvient Maneerat. Pour elle, l’assistance apportée après le tsunami a eu au moins un mérite, celui de «nettoyer le village» et d’améliorer le niveau de vie. Plusieurs écoles ont été fondées par des organisations humanitaires, comme la fondation Prateep ou la fondation protestante New Light, d’abord pour s’occuper des «orphelins du tsunami», puis s’adressant à d’autres parties de la population, y compris les enfants des travailleurs migrants birmans. Maneerat a elle-même investi avec son mari allemand dans un complexe touristique où elle n’emploie que des jeunes villageois de Baan Nam Khem, «même s’ils n’ont aucune expérience dans l’hôtellerie».

To go with AFP story THAILAND-ASIA-TSUNAMI-ANNIVERSARY by Preeti Jha and Thanaporn Promyamyai<br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br />
This picture taken on December 4, 2014 shows people visiting the Ban Nam Khem tsunami memorial park wall in Khao Lak. Ten years after the deadliest tsunami on record wrought destruction across the Indian Ocean, authorities fear creeping complacency is undermining a hi-tech warning system to prevent similar losses in the future.  AFP PHOTO / Nicolas ASFOURI

Le mémorial en hommage aux victimes, le 4 décembre 2014. (Photo Nicolas Asfouri. AFP)

L’intervention massive d’organisations chrétiennes, notamment protestantes, à Baan Nam Khem avait très tôt suscité la polémique. Dans les semaines qui avaient suivi la catastrophe, un temple protestant avait été établi à proximité de deux bateaux de pêche transportés par la vague géante à plusieurs centaines de mètres à l’intérieur des terres. Trois églises protestantes, liées à des organisations humanitaires, sont maintenant présentes dans ce village qui n’en comptait aucune avant le tsunami. Ces organisations avaient apporté assistance matérielle et réconfort moral aux villageois, mais en avaient aussi profité pour essayer de convertir ces bouddhistes au christianisme.
Charirat Pheumplian, une villageoise qui a perdu cinq membres de sa famille dans le tsunami et vit dans une maison à une vingtaine de mètres de la plage, admet que le soutien des chrétiens soudainement débarqués dans le village lui avait permis de traverser une période difficile : «Ils nous ont beaucoup aidés. Pendant une période, je suis allée à leurs cérémonies, cela m’a fait beaucoup de bien. Maintenant, je n’y vais plus par manque de temps.»

POISSONS À LA SURFACE ET FUITE DES CRABES

Dix ans après la catastrophe, les organisations protestantes sont toujours présentes à Baan Nam Khem, comme la fondation New Light, attachée à l’Eglise baptiste et qui s’occupe de l’éducation des enfants des travailleurs migrants birmans. Ces associations ont été particulièrement actives dans le soutien aux Moken (gitans de la mer), une minorité ethnique de plongeurs-pêcheurs qui vivait sur des îles de la mer d’Andaman, combinant assistance humanitaire et prosélytisme. Un mélange qui ne choque pas forcément les locaux, la dévotion des pasteurs ayant marqué les esprits.«Ne blâmons pas les organisations chrétiennes. Au moins, elles sont professionnelles. Ce n’est pas comme dans les organisations bouddhistes où nous n’avons pas un seul professionnel de l’humanitaire. Les chrétiens, eux, étaient parfaitement préparés», lance le moine Manat dans son temple du Pardon de la mer.Devenus chrétiens ou non, les Moken ont vu leur vie transformée. Au moment de la catastrophe, leur connaissance de la mer et de ses humeurs les avait alertés. Les anciens leur avaient souvent raconté que, plusieurs fois dans le passé lointain, lelaboon avait «avalé des îles entières» et leur en avaient décrit les signes avant-coureurs : le calme inhabituel de la mer avant le déferlement, l’apparition à la surface des poissons vivant dans les profondeurs, la fuite des crabes de la plage… La plupart des Moken avaient eu le temps de se réfugier à l’intérieur des terres, d’où un nombre relativement faible de victimes parmi eux. Depuis, beaucoup ont quitté les îles et se sont sédentarisés dans des villages bâtis par des organisations humanitaires sur la côte, comme à Theparak, établi par Caritas International à quelques dizaines de kilomètres au nord de Baan Nam Khem. Même s’ils ont dû quitter leur village d’origine sur l’île ou, pour certains, abandonner leur vie de nomades des mers, ils disent préférer habiter dans ces villages pourvus d’électricité où ils peuvent continuer de travailler comme pêcheurs. «Avant, quand nous étions malades, c’était un vrai casse-tête, explique Koot Kla Talay, un pêcheur moken de Theparak. Il fallait prendre un bateau pour rejoindre un hôpital sur le continent. Maintenant, nous bénéficions à la fois de la proximité de la mer et des aspects pratiques de la vie sur la côte.»

3 Thoughts on “De Bang Lut à Baan Nam Kem par la plage

  1. Patrice on janvier 22, 2015 at 5:09 said:

    Ah pus pouvons nous exprimer 🙂 merci administrateur 😉
    Cela devait être un sacré moment cette visite du mémorial par le biais des photos je ressent l’émotion qu’il doit y avoir sur place merci pour cet article et les infos complémentaires bisous a vous 3

  2. Je trouve que ce monument est très bien fait. Signe de la modernité de ce pays. 10 ans déjà, mais pas oublié.

    • Oui Erwin le monument est très moderne… Mais quelle tristesse… nous non plus n’avons pas oublié comme tous les Thaïlandais même s’ils n’en parlent pas.

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