Alors que le taxi passe près de la colline de Mandalay, notre regard est attiré par les beaux stûpas de la pagode Kuthodaw. De loin, l’ensemble me fait penser à un village chaulé des Cyclades. 
Depuis 5h ce matin, nous visitons des monuments bouddhiques aussi beaux les uns que les autres, et je m’étonne de ne pas avoir les yeux rassasiés. Quand la voiture passe devant la pagode, je n’ose pas demander un arrêt. Je me dis que tout le monde est fatigué de cette grande journée de visites. D’ailleurs, le soleil ne va pas tarder à se coucher. Thierry semble étonné que je ne réagisse pas et me demande si je veux visiter la « Kuthodaw pagoda ». J’ai à peine répondu par l’affirmative qu’il en parle à notre chauffeur afin que celui-ci fasse demi-tour dès que possible. Alors que nous descendons de voiture, nous lui promettons que nous n’en avons pas pour très longtemps. (Il ne faut pas abuser tout de même.) D’ailleurs, cette fois, notre taximan ne nous suit pas, il est sans doute arrivé à « saturation » de toutes ces merveilles.
Pieds nus, j’avance au milieu des stûpas qui se découpent dans un ciel intensément bleu. Thierry, derrière mois, prend des dizaines de clichés. Les pavés sont tièdes, les allées bordées de soleil et la chaleur me remplit l’âme et la tête…
La construction de la pagode « Kuthodaw » remonte à 1857, sous le règne du roi Mindon Min. Chaque stûpa abrite une stèle de marbre sur laquelle sont gravées, recto verso, des pages entières du Tipitaka, l’enseignement de Bouddha. Il s’agit là du plus grand livre du monde avec au total 279 stèles. Ces lignes sont gravées dans le langage Pâli qui n’est pas connu par la majorité des Birmans. Seuls quelques moines savent interpréter les textes. Impressionnant, non ?


Le silence des lieux est parfois troublé par les rires des enfants qui jouent à cache cache. Pétillants de vie, on lit dans leurs yeux espiègles une tendre complicité. Qu’ils sont beaux ces petits Birmans !

Au cœur de la pagode se dresse un stûpa doré, haut de 57 m.
Dans la cour intérieure, nous nous arrêtons sous un arbre aux branches qui n’en finissent pas. Celles-ci sont soutenues par des colonnes scellées dans le sol. La nature est parfois étonnante, cet arbre aurait – d’après les guides – 250 ans.
Le temps semble s’être arrêté dans ces lieux magiques. Mais il est l’heure de rentrer, et le chauffeur est peut-être en train de s’impatienter. En sortant, je me rends compte que ma paire de tennis a disparu. Je les aperçois aux pieds d’une vieille dame assise sur un banc en bois. Elle me regarde me chausser, un genou par terre, et me dit que s’asseoir près d’elle ne coûte rien. Naturellement, nous nous présentons l’une à l’autre. Cherry était professeur d’anglais, je comprends mieux son anglais parfait. Elle me raconte qu’elle adore les parfums Dior, et son RÊVE serait d’en posséder un tout petit peu. Je la regarde porter à son nez un flacon invisible, elle semble dans un moment d’extase. Cette dame, aux yeux délavés par le temps, me touche beaucoup, je me sens proche d’elle et finalement pas très différente. Elle parle avec beaucoup de philosophie de la vie, de la générosité, de la paix, du temps qui passe… Pour elle, s’il n’y avait pas de colère, il n’y aurait pas de guerre. C’est un moment que je ne suis pas prête d’oublier. Merci Cherry, je suis si heureuse que nos chemins se soient croisés.





D’après mes lectures, ce Bouddha aurait été pris par l’armée du roi Bodawpaya du royaume d’Arakan (près de la frontière de l’actuel Bangladesh), comme trophée de guerre en 1784. D’abord abritée dans l’ancienne capitale royale Amarapura, la statue aurait ensuite été déplacée à Mandalay, alors nouvelle capitale royale en 1860. Actuellement, elle est constituée de 6,5 tonnes de bronze et de 3 tonnes d’or. Son visage est nettoyé tous les matins, à 4 h, par les moines qui considèrent qu’elle est vivante. Seuls les hommes ont le droit de déposer une feuille d’or, les femmes doivent rester à l’écart… 

Des moines prient avec ferveur. La pagode Maha Muni est un site très fréquenté et vénéré par les Birmans.





A l’extérieur, nous admirons les détails finement sculptés du toit et au dessus des arcades. Une grande cloche trône au milieu de la cour, c’est l’occasion pour moi de donner mes trois coups de bâtons : ça défoule en fait !




Je lis sur un grand panneau qu’elles proviennent d’Angkor Vat au Cambodge. Elles sont passées de mains royales en mains royales, avant d’être rapportées à Amarapura en 1857.
Des trente statues rapportées du Siam par le roi birman Bayinnaung, il n’en reste actuellement que six. Elles attirent beaucoup de Birmans, car elles posséderaient des pouvoirs de guérison.





A 5h du matin, nous montons en voiture, les yeux tout embués de sommeil. Il fait une nuit d’encre, et Mandalay dort encore. Notre taximan semble un peu plus ébouriffé que la veille, mais garde le sourire. La nuit a été courte pour tout le monde. Nous prenons la direction de Sagaing, une ville située sur la rive occidentale du fleuve Irrawaddy, à une vingtaine de kilomètres. Je pense à Théophile qui a préféré rester au lit, ce que je peux comprendre. Ce n’est pas facile de persuader son ado de se lever à 4h30 pour assister au lever du soleil tout en haut d’une colline. Thierry et moi sommes encore un peu sonnés, mais au fur et à mesure que nous roulons, nos yeux s’agrandissent et s’habituent à la pénombre. Le taxi s’engage dans une rue montante et étroite. Je suppose qu’il s’agit de la colline de Sagaing où est perchée la fameuse pagode Soon Oo Ponya Shin. La route devient sinueuse, et notre chauffeur klaxonne à chaque virage pour prévenir de son arrivée. Au début, je me disais que cela ne servait pas à grand chose de donner de pareils coups de klaxon en pleine nuit, mais j’ai vite changé d’avis quand j’ai vu tous ces petits moines (des enfants) marcher en file indienne sur le bord de la route. Tous prennent la même direction, probablement le chemin vers le réfectoire de la pagode Soon Oo Ponya Shin pour leur premier repas de la journée. Sagaing est reconnue comme étant l’un des centres religieux les plus importants du pays.
Tout en haut de la colline, nous suivons les quelques pèlerins qui comme nous sont venus assister au lever du soleil. Il fait frais et, là-haut, le vent est glacial. Notre chauffeur qui ne porte qu’un tee-shirt est pétrifié de froid. Sur la terrasse de la pagode, il fait quelques exercices pour se réchauffer. J’aime beaucoup la bonne humeur ambiante et l’atmosphère qui se dégage des lieux.
Dans la nuit, le dôme tout doré prend une autre dimension. C’est magnifique.
Comme nous sommes en avance, j’en profite pour aller voir les tableaux qui ornent les murs de la pagode. Et puis il fait un peu plus chaud à l’intérieur !
Il est 6 h15 et le soleil est resté couché. Notre taximan consulte toutes les 5 minutes sa montre d’un air soucieux. Malgré le fait qu’il parle très peu l’anglais, nous arrivons à communiquer. Nous sentons qu’il fait tout pour nous être agréable et, lorsqu’il nous voit ébahis sur les sites magnifiques où il nous emmène, nous sentons une immense fierté dans ses yeux.

Nous ne sommes pas les seuls à profiter de la beauté de l’instant. Sur les visages, on lit de la joie d’être là. Tout le monde applaudit… L’effort en valait la peine, nous sommes largement récompensés par la très belle vue sur le fleuve et les collines.
Alors que le jour pointe, un groupe de femmes birmanes vient vers moi pour immortaliser ce moment. Toutes veulent être prises en photos avec moi… et ça n’en finit pas, au moins 5 ou 6 personnes à tour de rôle. Et puis vient le tour des familles avec enfant(s) pour la photo souvenir ! Il suffit de sourire et les gens viennent naturellement à vous. Et quelle gentillesse, vous donnez un sourire, vous en recevez 100 !


Nous quittons la pagode et remontons vite en voiture. Les rayons du soleil sont encore trop faibles pour nous réchauffer. Sur la route qui relie Sagaing à Mandalay, nous passons sur un superbe pont en métal : le pont d’Ava qui emjambe le fleuve Irrawaddy. Constitué de 16 travées, il a été construit par les Britanniques en 1934. Au loin, nous en apercevons un deuxième qui semble identique.




